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Rozenn Veauvy et Simon Bérard, lauréats 2017 des Prix Jeune Création Ville de Nice et Venet Foundation.
Du 26/10/2018 au 10/02/2019
L’exposition hmmm zwip… présente le travail de Rozenn Veauvy et Simon Bérard, lauréats des prix Jeune Création 2017 de la Ville de Nice et de la Venet Foundation.
L’exposition des lauréats des Prix Jeune Création constitue depuis 10 ans, un rendez-vous artistique incontournable pour la jeune création formée à Nice, à l’Ecole Nationale Supérieure d’Art de la Villa Arson. Elle invite les publics à découvrir les univers, les recherches et les travaux des deux artistes primés à l’issue de leur cursus.
Si Rozenn Veauvy puise dans la parole du quotidien un réservoir textuel qui nourrit sa pratique artistique et poétique, c’est de son projet de jardin que la pratique de peinture de Simon Bérard émerge, oscillant entre d’étranges matériologies et des rebonds de langages.
Commissariat : Martine Meunier
Textes : Fabien Faure et Arnaud Labelle-Rojoux
Cette exposition reçoit le soutien de la Villa Arson et de la Venet Foundation. La galerie de la marine fait partie du réseau Botoxs
« Si vous voulez un bon conseil, lavez moins vos cheveux ! »
On pourrait commencer par le plus simple, et dire que Rozenn Veauvy écrit précisément des phrases très simples, descriptives, évoquant des situations sans importance, souvent absurdes, ou rendues absurdes par l’absence apparente d’élaboration stylistique. Une rose est une rose, et le nom d’un salon de coiffure (« Ainsi soit Tif » ou « Planète Hair ») forcément une évidence, quoique sujet d’une curiosité telle qu’elle mérite d’être notée. Mais cette simplicité appliquée à l’écriture confine à un état de stupéfaction. Une formule vient immédiatement à l’esprit : « c’est pas vrai ? ». Mais si, bien sûr, tout est vrai. Vrai de vrai. Simplement vrai. Rozenn Veauvy fait naître, à partir de la substance de ses textes – une réalité ancrée dans l’époque si trompeusement libératrice –, une sorte d’angoisse submergeante de ce qui nous entoure : faits, gestes, personnes, objets, technologie. Cela sans cuicuis poétiques. La forme est directe ; la langue, pour le coup, parlée. Pourquoi en irait-il autrement ? Rozenn Veauvy se contente, pourrait-on dire, de voir et d’entendre, de montrer et de rapporter. Mais l’effet de surprise est chaque fois là, au détour d’une remarque aphoristique désarmante ou de considérations galopantes sur n’importe quoi (le loto, Facebook, l’attentat du 14 juillet à Nice, la distinction entre un Perrier normal et un Perrier fines bulles, l’automédication). Avec une voix propre. Oui, la présence de Rozenn Veauvy est partout à l’affut de raconter ce qu’elle a vu ou entendu. Cherche-t-elle à faire de la sorte de la littérature ? Si l’on suit Olivier Cadiot pour qui « la littérature n’est pas à l’endroit de la bouche », probablement pas, mais au contraire de la vacuité supposée de sa parole débondée, c’est un véritable regard sur le « spectaculaire intégré » (comme dit Guy Debord) de notre société que propose Rozenn Veauvy. Entendons-nous bien, puisque le nom de Debord vient sous ma plume : il ne s’agit pas chez elle d’une « critique de la vie quotidienne » mais d’une saisie de cette réalité faisant souvent images. Ou spectacle. Ces textes, Rozenn Veauvy les lit du reste en public, ou, autofilmée, les dit sur des vidéos témoignages, soulignant ainsi leur portée orale. Au fond, Rozenn Veauvy est une conteuse, ou plutôt une raconteuse. Ce qui est un art à part entière. Le jury du prix de la Venet Foundation ne s’y est pas trompé en lui accordant son prix !
Arnaud Labelle-Rojoux
Légende du visuel : Rozenn Veauvy, extraits d'une série de toiles Je dis ça pour toi, 2018.
Les matériaux et médiums que Simon Bérard utilise de manière récurrente, les schèmes d’organisation qu’il met en œuvre ainsi que l’iconographie à laquelle il emprunte avec discernement laissent découvrir un nombre limité de constituants et de références, que l’artiste définit comme « une base de données restreinte, autorisant des conjugaisons 1 ». Car celui-ci ne fait guère cas de ce qui, dans le monde, pourrait nous entretenir de vastitude ou de richesses profuses, préférant s’en tenir à ce qui se tient, là, à portée de la main. L’attention qu’il accorde à la modestie des choses et aux relations de proximité nourrit, dans son travail, un jeu complexe, fait d’échanges, de projections et de croisements de toutes sortes.
Tout commence en 2015, lorsque Bérard décide d’associer deux lieux types, historiquement et culturellement fondés, soit deux figures de lieux à partir desquelles il entreprend de « déployer » l’ensemble de sa production. La première figure est celle du jardin, déclinée en jardin de mémoire, jardin d’agrément et jardin potager. Le site simonberard.garden en conserve les archives libres d’accès, révélant la logique associative dont procède leur constitution. Non moins dense, la seconde figure est celle de la bibliothèque, dont l’artiste a élaboré une version pour partie consacrée aux jardins, et qui « en informe l’idée, de près ou de loin ». [...] On l’aura compris, l’artiste ne reconnaît pas seulement, dans le jardin et la bibliothèque, des espaces circonscrits, dévolus à des usages précis, mais l’expression de modèles de pensée. Associées à la conservation et à la transformation des biens et des savoirs, les figures couplées ont valeur de microcosme : toutes sortes de productions de la nature, de la main et de l’esprit trouvent à s’y loger, et nombre d’activités humaines s’y font écho. [...]
La production récente de Simon Bérard prolonge les élaborations précédentes à la manière d’une greffe féconde. De modestes constituants – soit, en l’espèce, des œufs de caille, des grains de haricots secs, de la variété Orca, et la matière de choux rouges – servent un travail en lequel les régimes symbolique, plastique et représentationnel s’ancrent plus nettement dans le champ pictural. Car si ces produits de l’industrie agricole et alimentaire sont aujourd’hui des plus communs, leur conversion artistique l’est moins, qui révèle leur aptitude troublante à nous entretenir de la peinture et de ses objets. Dispersées sur les petits œufs, les mouchetures sombres – comme éclaboussées – et les formes noires – plus nettement dessinées sur l’enveloppe des grains ovoïdes – ne procèdent pourtant d’aucune intentionnalité. Ces marques auxquelles nous conférons plus ou moins consciemment la spontanéité d’un tachisme, voire le dynamisme d’un dripping en réduction sont, comme on sait, génétiquement programmées. Le motif informel qui recouvre les œufs semble en outre justifier la noble destination de leur contenu, ingrédient essentiel de la peinture a tempera 2 . Bérard connaît cet arrière-plan, qui écrase quelques œufs de caille sur des tableautins3 les coquilles « tachistes » s’y trouvant fixées par leur liant même. La paroi interne de celles-ci révèle en outre un bleu-vert tendre, dont il se plaît à reproduire les infinies nuances ; manière, encore, de s’emparer du fait de peinture partout où il le reconnaît.
Un même processus de contamination analogique affecte les grains bichromes de haricots, le sensible semblant apporter avec lui sa signification. On se saurait donc s’étonner que certains d’entre eux puissent former le mot « egg » sur une petite peinture, que l’artiste qualifie de « magrittienne ». Le destin pictural du chou rouge obéit à de semblables pré-transmissions et, pour peu que l’on respecte concentration et durée des décoctions, la teinture extraite de ses feuilles offre un contrepoint à la tempera, directement prélevée à sa source. Plusieurs tableaux et quelques projections au sol offrent un lieu où se réalise la rencontre des fluides complémentaires, entre teinture (au chou) et peinture (à l’œuf).
Chez Bérard, avant que d’être produit comme tel, le fait pictural est donc toujours déjà-là, offert à qui sait s’en emparer. Il se nourrit d’alliances sensibles et savantes, favorisant les mises en mouvement du regard et de la pensée par enchaînement causal ou affinité. L’artiste apparaît en cela comme un interprète mi-fonctionnaliste, mi-facétieux, s’attachant à développer librement le programme inscrit dans les matériaux qu’il a fait siens. Aussi sa production ne va-t-elle pas sans rappeler l’inventivité et les qualités sémiotiques du bricolage, que Claude Lévi-Strauss, dans un passage fameux de La pensée sauvage, qualifie de « mythopoétique ». « La poésie du bricolage, écrit l’anthropologue, lui vient aussi, et surtout, de ce qu’il ne se borne pas à accomplir ou exécuter ; il “parle”, non seulement avec les choses, mais aussi au moyen des choses»4. Les tableautins de Simon Bérard donnent une suite heureuse à ce langage incarné, qui nous parle d’un monde saisi à même le monde.
Marseille, août 2018
Fabien Faure
Légende du visuel : Simon Bérard, le bigle et œ₁, cuir teinté à l'eau de chou, citron et haricots sur bois, 27,3x23,3cm et tempera à l'œuf de caille sur bois, 27x24,1cm, 2018
1. Les propos de Simon Bérard et les références au vocabulaire qu’il utilise sont issus de conversations avec l’auteur, durant l’été 2018. Dans la suite du présent article, ces éléments sont placés entre guillemets, sans autre référence.
2. Le procédé original de la tempera utilise le jaune d’œuf, voire l’œuf entier comme médium destiné à lier les pigments pour appliquer une couleur stable et homogène sur des surfaces recouvertes de plâtre ou sur des panneaux de bois préalablement enduits. Il est à remarquer que Bérard n’utilise pas de toiles apprêtées, mais des planchettes de bois brut ou aggloméré, dont il retouche parfois le format. En vertu des principes d’économie et de proximité qui caractérisent sa démarche, il récupère ces rebuts à côté de son atelier, dans la rue ou bien sur des chantiers. Quant au titre du présent article, il ne renvoie aucunement au traitement culinaire des œufs soumis à cuisson, mais détourne (sans détour) le titre Eyes in the Heat d’un tableau célèbre de Jackson Pollock. L’épaisse texture de cette œuvre de 1946 procède de l’application all-over de la matière des tubes de couleur, directement pressés sur la toile. Des œufs aux yeux et, partant, aux puissances du regard, ce cheminement (que je n’ose qualifier de batallien) m’a paru conforme au décentrement gouvernant les associations bérardiennes.
3. Je reprends volontiers ce terme qu’affectionne l’artiste.
4. Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 32. Les guillemets sont de l’auteur.
http://www.simonberard.garden/
Du 2 janvier au 22 juin compris : ouverture à 11 heures – fermeture à 18 heures ;
Du 23 juin au 15 octobre compris : ouverture à 10 heures – fermeture à 18 heures ;
Du 16 octobre au 31 décembre compris : ouverture à 11 heures – fermeture à 18 heures.
Fermeture : lundi toute la journée Fermetures exceptionnelles : 01/01, Pâques, 01/05, 25/12
Infos pratiques
Gratuit
Adresse
Galerie de la Marine - 59 Quai des Etats-Unis, 06300 NICE
Accès
Tramway : Arrêt Opéra/vieille ville ou Cathédrale/vieille ville